Jusqu’à la lecture par Cuvier de son article au sujet des espèces d’éléphants, Lamarck n’avait pas théorisé au sujet de la zoologie, se contentant de publier de courtes notices descriptives. Cette idée est en fait très répandue, depuis que les physiciens ont attiré l’attention sur ces corps célestes vagabonds. En pensant le temps profond, les naturalistes des Lumières ont mis au jour les principales apories qui continuent de diviser les spécialistes aujourd’hui, en particulier pour ce qui concerne les modalités graduelles ou brutales des changements évolutifs72. A partir de ses observations sur les variations individuelles au sein d'une même espèce, J-B Lamarck en a simplement déduit que les individus s'adaptent à leur milieu. Sur le modèle de l’histoire politique, après la révolution lamarckiste, les spécialistes du développement de la théorie de l’évolution ont identifié une « puissante réaction anti-évolutionniste qui donna un coup d’arrêt aux thèses développées par Lamarck et Etienne Geoffroy Saint-Hilaire » (Gaudant, 1991, p. 119, d’après Bourdier, 1959, p. 892-893). Par opposition à l’embryologiste Albrecht von Haller (1798-1777), qui considère que seuls des athées peuvent chercher à démontrer l’impermanence du monde, Blumenbach adopte l’idée d’une Création recommencée, renouvelée au cours du temps. On voit alors pourquoi l’océan a recouvert de hautes montagnes, sur lesquelles il a laissé des marques incontestables de son séjour, on voit comment les animaux et les plantes du Midi ont pu exister dans les climats du Nord, où l’on retrouve leurs dépouilles et leurs empreintes ; enfin on explique la nouveauté du monde moral, dont les monuments certains ne remontent pas au-delà de cinq mille ans.23. Des révolutions ont lieu, c’est certain. 11En 1791, Jean-André De Luc, naturaliste genevois installé en Angleterre, comprend qu’aux changements lents visibles au sein de chaque couche géologique, s’ajoutent des mutations drastiques entre les diverses couches. 27Il reste à comprendre pourquoi Lamarck oppose les deux voies de l’alternative extinction-évolution, alors même que ses collègues s’y refusent, dans la grande majorité des cas47. Cette rigueur méthodologique ne correspond pas seulement à la « science sérieuse » visant à se distinguer des spectacles scientifiques à la mode dans le Paris de l’époque, mais surtout à la « science sévère », qui impose le recours à des mesures de précision, à une nomenclature rigoureuse et à des vérifications expérimentales nombreuses4. Il adopte ainsi le concept et l’expression de « révolutions lentes », déjà mis en avant par son ami Bruguière39. 20 Cédric Grimoult, Histoire des théories scientifiques de l’extinction des espèces, Paris, Ellipses, 2014, p. 32-55. Dans un autre livre, Burtin explique l’extinction par des catastrophes répétées : […] plusieurs phénomènes semblent indiquer que les climats et la mer ont changé de place par une révolution très prompte. 32Le second argument majeur de Lamarck ne concerne pas les fossiles, comme on aurait pu s’y attendre, mais la classification animale, qui forme, selon lui, une « échelle régulièrement graduée », pourvu que l’on considère seulement les groupes supérieurs de la classification58. 3 Lamarck, Recherches sur les causes des principaux faits physiques, Paris, Maradan, an II (1793-1794), t. II, p. 307-308. L’historien de la géologie Gabriel Gohau écrit à ce propos : « On pourra aussi s’étonner des “révolutions” subites et drastiques qui coupent l’histoire de la Terre, et dont Cuvier, si exigeant en d’autres occasions, donne des preuves peu convaincantes »69. Il pensait que les formes de vie avaient évolué progressivement et que les caractères acquis au cours de la vie (grâce à ses ses efforts) pouvaient être transmis à ses descendants. Donc, la théorie de l'évolution tient que plus jamais mais elle est en train de s'enrichir de manière très profonde. 70 Cuvier, Recherches sur les ossements fossiles de quadrupèdes, op. 4. Il insiste ainsi à plusieurs reprises sur la constance des lois physiques et sur la supériorité épistémologique de l’approche naturaliste, qui évite de supposer indûment l’existence d’exceptions miraculeuses ou d’une finalité immanente36. : Des êtres vivants sans nombre ont été les victimes de ces catastrophes, les uns ont été détruits par des déluges, les autres ont été mis à sec dans le fond des mers subitement relevé : leurs races même ont fini pour jamais, et ne laissent dans le monde que quelques débris à peine reconnaissables pour le naturaliste.62. 1800-1882, Paris, CNRS éditions, 1998, p. 74-77. Mais Cuvier rénove en quelque sorte cette doctrine officielle, en mettant l’accent sur des mécanismes géologiques compatibles avec une chronologie brève. Cuvier en profite pour présenter sa conception en faveur des révolutions du globe. Celle-ci appuie alors une théorie, fondée sur l’irruption de catastrophes brutales ayant marqué l’histoire de la Terre, qui existait déjà avant la Révolution française, et dont le nom même – celui des « révolutions du globe » avait été proposé plusieurs fois. The reconstruction of geohistory in the Age of Revolution. Ce sont ses compétences anatomiques plus que sa ferveur religieuse qui amenèrent Cuvier à refuser le transformisme des espèces avancée par Lamarck : Cuvier soulignait que l’anatomie des animaux était étroitement liée à leur mode de vie et assurait leur survie. Dans une lettre adressée à Giraud-Soulavie, datée du 21 mai 1780, l’abbé Roux présente aussi une théorie des trois déluges12. Le gel responsable de cette conservation a saisi ces corps dès la mort des animaux et Cuvier croit pouvoir en déduire que « cette gelée éternelle n’a pu s’emparer des lieux où ces animaux vivaient que par la même cause qui les a détruits : cette cause a donc été subite comme son effet »67. URL : http://journals.openedition.org/aes/2099 ; DOI : https://doi.org/10.4000/aes.2099, Centre d’Histoire Culturelle des Sociétés Contemporaines, Université Versailles-Saint-Quentin, Centre de recherche LISAA (Littératures SAvoirs et Arts), Voir la notice dans le catalogue OpenEdition, Plan du site – Contact – Crédits du site – Flux de syndication, Nous adhérons à OpenEdition Journals – Édité avec Lodel – Accès réservé, Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search, Géologie, religion et politique entre violence et progrès (1789-1830), Lamarck and Cuvier in Revolution. Ainsi il propose une classification du règne animal en quatre « embranchements » (articulés, vertébrés, mollusques, radiaires) et cela, en structurant l'étude de l'anatomie comparée des animaux et en remettant en cause la chaîne des êtres. Trad : Tullia Meulien, p. 337. 3. Geology, Religion and Politics between violence and progress (1789-1830), The Spirit of system: Lamarck and evolutionary biology, Bursting the limits of time. 37Cuvier attaque aussi Lamarck en ce qu’il n’a pu établir directement les filiations supposées entre les formes fossiles et actuelles : « si les espèces ont changé par degrés, on devrait trouver des traces de ces modifications graduelles », tandis que « jusqu’à présent cela n’est point arrivé »70. la Lamarckism Il a été le premier théorie de l'évolution et il a été établi par le naturaliste français Jean-Baptiste Lamarck (1744-1829). Cuvier a été une figure majeure dans la recherche en sciences naturelles au début du XIXe siècle et a joué un rôle déterminant dans l' 48 Charles Lyell, Principes de géologie, ou illustrations de cette science, empruntées aux changements modernes que la Terre et ses habitants ont subis, Paris, Langlois et Leclercq, t. 1, 1843 (éd. Il est aussi vraisemblable que le nouveau climat politique et culturel, marqué par la Révolution française et le romantisme, ne bénéficient à cette doctrine catastrophiste qui enflamme les passions. Encore moins trouvons-nous qu’elle précipite nulle part de ces couches plus solides, plus siliceuses qui ont précédé la formation des bancs coquilliers. 19Selon Cuvier, c’est en effet la même cause qui doit avoir bouleversé les couches sédimentaires des époques précédentes et causé la disparition des formes de vie contemporaines. 31 Cuvier, Recherches sur les ossements fossiles de quadrupèdes, Paris, Deterville, 1812, t. I, p. 38. déclarés, certaines parties de Bursting the limits of time. Cuvier peut encore se souvenir du mémoire académique de Joseph Jérôme Lefrançois de Lalande (1732-1807), en 1773, qui causa un certain émoi à travers Paris et les railleries de Voltaire22 quand il écrit : L’axe et le mouvement de rotation changés, les mers abandonnant leur ancienne position pour se précipiter vers le nouvel équateur, une grande partie des hommes et des animaux noyés dans ce déluge universel ou détruits par la violente secousse imprimée au globe terrestre, des espèces entières anéanties, tous les monuments de l’industrie humaine renversés, tels sont les désastres que le choc d’une comète a dû produire, si sa masse a été comparable à celle de la Terre. Les espèces qui furent conservées sur d’autres fonds, éprouvèrent elles-mêmes de grands changements, et se rapprochèrent ainsi par degrés de celles que nous trouvons dans la mer actuelle.15. orig. 8Le très catholique Burtin adopte ainsi la théorie catastrophiste, selon laquelle les révolutions sont plurielles, ont été brutales et ont anéanti l’ensemble des êtres existant alors sur Terre – autrement dit, la théorie pour laquelle Cuvier est passé à la postérité. cit., p. 134. (Lire focus Darwin) Il n’en est rien, ces deux théories sont toujours l’objet de conflits et de confusions. Le néo-lamarckisme est un mouvement qui apparaît vers la fin du XIXe siècle et remet au goût du jour la théorie de Lamarck en se fondant sur les nouvelles découvertes … La première tient au mécanisme envisagé par Lamarck pour expliquer les transformations du vivant, et principalement son idée selon laquelle « la fonction crée l’organe ». Source de la vidéo : http://www.cndp.fr/evolution-des-especes/Vidéo extraite du DVD La Terre, le temps, le vivant. Le passage de l’ère secondaire à l’ère tertiaire, que nous savons coïncider à la grande extinction de masse qui mit fin, notamment, aux dinosaures, pourrait correspondre, selon De Luc (qui n’employait pas ces termes), à un tel événement spectaculaire. Dès 1822, John Fleming (1785-1857) observe au contraire que les mammouths et rhinocéros sibériens possédaient une fourrure indiquant leur adaptation au froid, à la différence des espèces actuelles, à la peau glabre68. 50 Cédric Grimoult, Histoire des théories scientifiques de l’extinction des espèces, op. Laplace reprenait ainsi l’explication du Déluge donnée par William Whiston (1667-1752), déjà commentée en 1742 par Maupertuis. 69 Gabriel Gohau, Les Sciences de la Terre aux xviie et xviiie siècles. 46 Cuvier, « Extrait d’un ouvrage sur les espèces de quadrupèdes dont on a trouvé les ossements dans l’intérieur de la terre, adressé aux savants et amateurs des sciences, adressé aux savants et aux amateurs des sciences », Journal de Physique, 1801, 52, p. 260. cit., t. I, p. 236. 72 Cédric Grimoult, « Le débat sur le ponctualisme en France : le colloque de Dijon en 1982 », Revue d’histoire des sciences, t. 62-2, juillet-décembre 2009, p. 423-454. Il serait peut-être plus juste de dire « le besoin crée l’organe », car Lamarck écrit ainsi, en opposition à l’idée commune : » ce sont, au contraire, les besoins et les usages des parties qui ont développé ces mêmes parties, qui les ont même fait naître lorsqu’elles n’existaient pas et qui, conséquemment, ont donné lieu à l’état où nous les observons dans chaque animal »51. 1800-1882, op. Toutes les espèces d’animaux marins cessèrent d’exister dans les lieux où cette modification s’opéra immédiatement. Lamarck) et cette variabilité est héréditaire ( transmise des géniteurs à la descendance ); Cette vision permet d'accorder plus ou moins aisément le … C’est le statut de la différence entre éléphants d’Afrique et d’Asie, distinguées par Cuvier, qui fixe le rang d’espèces attribué aux divers mastodontes. en évolution, Théorie de l'évolution : les idées fausses, Evolutionnisme Voici les 4 grandes théories de l’évolution. 4Les préoccupations de Lamarck étaient jusqu’alors concentrées sur la chimie, à laquelle il consacre plusieurs gros volumes théoriques, publiés entre 1794 et 1797. 5Or, justement, Cuvier se range du côté de Laplace et des chimistes. 2 Martin J. S. Rudwick, Bursting the limits of time. Son transformisme lui permet aussi d’expliquer pourquoi les fossiles les plus proches des êtres vivants sont les plus récents45, tandis que Cuvier se borne à observer ce fait : « plus les couches dans lesquelles on trouve ces os sont anciennes, plus ils sont différents de ceux des animaux que nous connaissons aujourd’hui »46. Cinquante ans plus tard, en Angleterre, paraissait L’Origine des espèces où Charles Darwin (1809-1882) développait sa propre théorie sur la transformation des espèces par « descendance avec modification » (Figure 2). Théorie de la Terre, 3 vol., Paris, Maradan ; 2 e éd., 5 vol., an V (1797). 47 Cédric Grimoult, Histoire des théories scientifiques de l’extinction des espèces, op. Il devine que la mer, réparties sur nouveau et retiré, de sorte que chaque fois qu'il a … S'appuyant sur la Bible, Georges Cuvier n'imagine pas qu'il puisse exister une autre théorie que le créationnisme. du jour : Trois personnalités scientifiques de tout premier plan international, toutes trois professeur d’histoire naturelle à Paris ont confronté leurs doctrines au sujet de l’origine des espèces : Lamarck, Geoffroy Saint-Hilaire et Cuvier. © Hominidés.com - 2002-2020 - Tous droits réservés -, George Il entre à l’Institut de France dès l’année suivante, et le 15 germinal an IV (4 avril 1796), y lit un article tiré de ses recherches sur les éléphants vivants et fossiles. Et, au fond, ce qui déplaît sans doute viscéralement dans la conception de son jeune adversaire, c’est sa philosophie spiritualiste et chrétienne sous-jacente. Dans son Hydrogéologie, Lamarck évoque une « lenteur presque inappréciable »40. 37 Lamarck, Philosophie zoologique, Paris, Dentu et chez l’auteur, 1809, t. II, p. 187. Nombre d’espèces de ces animaux furent détruites dans toute l’étendue de la mer. Enfin toutes ces causes réunies ne relèveraient pas une seule couche, ne produiraient pas le moindre monticule, ne changeraient pas d’une quantité appréciable le niveau de la mer.32. Les naturalistes savaient en effet que les coquillages présentaient un certain nombre de formes « analogues », un adjectif à l’emploi particulièrement flou, mais qui renvoyait à l’identité ou à la très grande ressemblance morphologique entre des formes fossiles et des êtres connus dans la faune actuelle.

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